
Le DAC 140 ressemble à tous les autres appareils Kora, arborant le gris foncé du châssis marié à la façade en méthacrylate noir. Rien ne laisse deviner son originalité technique interne, ni son écoute ardente, contrastant avec la sobriété visuelle affichée. C’est un Kora, fait pour passer de longues heures musicales en sa compagnie.
Bruno Vander Elst est un technicien chevronné, qui n’hésite pas à choisir des voies en dehors des sentiers battus, pourvu que cela apporte une qualité accrue, technique et musicale. Cette série Kora 140 de prix plus abordable ne touche pas aux fondamentaux techniques incontournables de la marque, mais simplifie certaines fonctions pour en baisser le coût. Le dispositif propriétaire SquareTube est bien sûr présent, constituant un amplificateur opérationnel complet, mais à tube. Il combine par canal une double triode ECC83 en différentiel d’entrée et une ECC82 en push-pull OTL de sortie, avec un courant imposé à 2 mA, qui ne varie pas afin de garantir un fonctionnement identique et stable. L’essentiel est de constater le résultat musical de ces choix bien réfléchis, qui démontrent que Kora maîtrise sacrément bien son sujet.
SIMPLY DAC
Sur la façade noire se remarquent l’afficheur lumineux et la petite roue codeuse qui active les fonctions, en plus de la très belle télécommande métallique grise fournie. L’accès au set-up du menu grâce au monobouton, par rotation et pression, accède au choix du niveau acoustique du rappel sonore de son mouvement (délicate attention), à l’ajustage de la luminosité de l’écran et à la sortie du menu. L’écran affiche l’entrée sélectionnée et la fréquence d’échantillonnage du signal entrant (si elle est présente). L’allumage et l’extinction sont gérées par un micro-contrôleur qui surveille la bonne stabilisation des tensions et la temporisation du chauffage des tubes. Si le moindre problème est détecté, l’appareil se met en sécurité, car il est monitoré en permanence. À l’arrière se trouvent les 8 entrées dont quatre S/PDIF, deux optiques Toslink, deux AES-EBU et une USB/B. La double sortie analogique donne le choix entre RCA asymétrique et XLR symétrique.
ORIGINAL PAR NATURE
La singularité commence dès l’entrée du signal numérique en SPDIF, AES-EBU, optique et USB, dont la fréquence entrante est traitée par un multiplicateur de fréquence. Les horloges sont chargées de les identifier précisément à l’entrée pour éviter tout décalage ou glissement, afin d’être en parfait synchronisme avec les sources. Ensuite, deux circuits intégrés AKM sont utilisés, un pour réceptionner le signal et le convertir en I2S, l’autre réalisant le suréchantillonnage pour transformer le flux numérique en 32 bits à une fréquence maximale de 768 kHz.
Grâce à cela, la résolution est augmentée d’un facteur supérieur à 64 000, et le nombre d’échantillons convertis est multiplié par 16. La conversion N/A est assurée par un circuit intégré du fabricant japonais ROHM, ce qui change des deux ou trois marques rencontrées habituellement. Cet un modèle supérieur trié dans une configuration en différentiel à sortie en courant, offrant un niveau de bruit très bas de -132 dB. La conversion en tension se fait par une résistance Vishay métal de haute qualité, de tolérance 0,01 %. Suit un ampli opérationnel CMS à très faible bruit qui attaque le circuit Square Tube disposant d’un très fort gain, faisant office également de filtre analogique à pente douce 12 dB, éliminant les derniers résidus présents. Les composants choisis sont de la plus haute qualité, comme les 12 résistances Vishay à feuille métal (et non pas à couche métal vaporisée comme celles moins chères beaucoup plus courantes). Les condensateurs sont des styroflex Philips ou Vishay découplés en parallèle, important pour supprimer les résonances à haute fréquence. Les nombreuses alimentations séparées, dont certaines à découpage conçues spécialement, sont filtrées passivement en Pi (avec self) ou en RC selon la position, offrant un niveau de bruit très bas, une parfaite stabilité et des tensions rigoureuses. Les exigences sont ici les mêmes que pour les circuits de laboratoire conçus par la société soeur spécialisée en instrumentation.
Timbres :
Sous son air sage, le DAC 140 montre de grandes aptitudes qui le propulse dans une classe supérieure, celle des appareils à la présentation et aux prétentions autrement plus haut de gamme que son apparence le laisse supposer. C’est un mélange de définition et de naturel, dont un médium/aigu riche et charnel toujours du côté humain, jamais sur le versant démonstratif et stérile, tout en respectant rigoureusement le signal entrant. La voix de Shirley Horn sur «Dindi», enregistré en 1987 (CD Nagra – 70e Anniversaire) est un monstre de sensualité et d’expressivité, pianissimo sur le fil de l’émotion, comme seule la Diva sait le faire. Les percussions dans l’aigu sont d’une finesse extrême, égrenant de riches harmoniques avec légèreté dans l’espace. Le registre grave est également de grande qualité, car il explore les fréquences basses facilement avec tenue, netteté et modelé, en respectant la texture avec acuité, non sans rappeler la faculté des ensembles analogiques de haut niveau à délimiter un grave réaliste. L’équilibre tonal est de fait irréprochable, procurant une ouverture sur un monde musical riche et varié, presque sans limite.
Dynamique :
Force est de constater que le Kora est synonyme d’alacrité et de microdynamique. Sans avoir à monter le volume, l’ampleur se manifeste quand il le faut, de façon contrôlée et ordonnée, le Square Tube s’accordant avec brio au convertisseur choisi. Même quand l’intensité sonore déborde d’énergie, elle est respectée scrupuleusement, comme cet impressionnant passage de la Marche du Soldat d’Igor Stravinsky, enregistré par la technique Blumlein avec un micro à tube Neumann SM-169 sur un Nagra 4S, qui informe rapidement des capacités de vivacité d’un appareil : le DAC Kora se montre brillamment à la hauteur, en respectant la plage dynamique avec une facilité déconcertante, sans brusquerie mais avec tenue. Cela semble naturel pour lui, faisant valoir une grande homogénéité sur tous les paramètres dans un flot musical entier et réaliste, aidant grandement à apprécier tous les genres musicaux.
Scène sonore :
La présentation spatiale fait partie de cette cohésion ressentie, pilier de l’édifice musical à même de mettre en valeur les meilleures prises de son qui peuvent ainsi démontrer toutes leurs qualités grâce au Kora. L’aisance à traduire des ambiances musicales sans côté répétitif et prédictif, comme parfois sur certains modèles, et la surprise à l’écoute des différents morceaux prouvent le sens de la variété et du détail du DAC 140. Il s’exprime au travers d’un espace sonore de vastes dimensions, y compris en profondeur et en hauteur, délaissant la platitude parfois présente en numérique, comparée à une restitution analogique. Le Kora met toute sa bonne volonté à en présenter le meilleur, non sans parfois un côté délectable et caressant quand l’enregistrement s’y prête, comme le pupitre de violons de grande origine d’un orchestre symphonique. Mais avant tout c’est l’espace de la prise de son qui s’exprime ouvertement, sans signature typée malgré les tubes, si ce n’est celle d’un abandon bien agréable.
Rapport qualité/prix :
Kora tente le pari de présenter un DAC à 9 000 euros, et même si la concurrence est bien présente à ce tarif, force est de constater que le 140 sait se démarquer à l’écoute par ses qualités propres. Il peut se frotter à des concurrents plus connus et/ou prestigieux, qui eux caracolent bien souvent au dessus de son prix. Il est techniquement avancé et d’une fabrication irréprochable, sans se contenter de copier les autres, ce qui plaide en sa faveur.
Conçu avant tout pour se marier aux intégrés Kora, il fait l’économie d’un volume analogique, mais ne lésine pas sur des composants de la plus haute qualité.
VERDICT
Il ne faut pas se fier à son allure réservée, et l’écouter sur les meilleurs systèmes pour découvrir ce dont il est capable. Le Kora dévoilera alors ses charmes musicaux centrés sur un grand équilibre de toutes les composantes, sans oublier l’indispensable liant musical propre à tout bon appareil. On n’attendait pas forcément Kora dans ce domaine, mais le DAC 140 est un concurrent sérieux à considérer en matière de convertisseur, judicieusement marié au tube. Félicitations à Bruno Vander Elst et son équipe pour toutes ces qualités réunies !
Bruno Castelluzzo
TIMBRES 7/8
DYNAMIQUE 8/8
SCENE SONORE 8/8
QUALITE/PRIX 6/8
